Édition synthétique

Annexe - Réaliser, comprendre et interpréter les cartes

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 Lire une carte oblige à suivre des règles identiques à celles de la lecture d’un livre ou d’un essai. Le lecteur d’un ouvrage doit généralement conserver une grande attention lors du processus de lecture et être prêt à accepter les concepts et idées avancés par l’auteur tout en maintenant un nécessaire esprit critique par rapport au texte de manière à pouvoir faire surgir des questions ou rejeter certaines idées s’il ne partage pas l’opinion de l’auteur. La lecture d’une carte doit suivre une voie identique. Cependant, il y a une différence fondamentale entre la lecture d’un livre et celle d’une carte. Pour écrire un texte, on utilise des mots, des phrases et des paragraphes dans un ordre bien structuré afin de transmettre des informations et des idées sur le thème central de l’ouvrage. Pour réaliser une carte, on utilise des tracés et des symboles pour présenter un ensemble complexe de phénomènes spatiaux, dont on montre les interrelations. De ce fait, la lecture d’une carte n’est pas linéaire comme celle d’un livre. Face à une carte, chacun peut avoir sa propre stratégie ou manière de procéder pour prendre connaissance des divers éléments qu’elle contient. Ainsi, chacun peut aboutir à des lectures, des interprétations et des conclusions différentes à partir d’une seule et même carte.

 Nombreux sont ceux qui acceptent trop rapidement la validité d’une carte publiée sans questionner sa fiabilité ou sa pertinence, d’autant plus que l’édition classique et numérique offre une plateforme à des cartes réalisées aussi bien par des cartographes qualifiés que non qualifiés. Un risque existe donc qu’un enseignant utilise en classe une carte erronée tirée d’internet ou d’une quelconque publication. Il est alors important de faire savoir aux étudiants que toute carte publiée ne propose pas forcément une représentation appropriée du monde.

 L’objectif de ce chapitre est de souligner clairement et systématiquement la plupart des concepts fondamentaux qui président à l’élaboration des cartes par les cartographes et de donner quelques pistes sur la marche à suivre pour interpréter et analyser un document cartographique. Chaque carte est différente et il n’y a pas de formule permettant d’affirmer de façon définitive « cette carte est mauvaise » ou « cette carte est bien conçue ». Toute évaluation d’une carte doit prendre en compte son contenu spécifique, la qualité des données utilisées et l’adéquation des techniques et représentations choisies. Le langage cartographique est peut-être plus sujet à interprétation que l’écrit. Pour cette raison, les auteurs du présent atlas ont voulu proposer aux lecteurs une brève initiation aux méthodes de réalisation des cartes dans des termes simples afin d’éclairer les choix cartographiques retenus. Des exemples permettent d’offrir des indications pour déterminer la valeur pédagogique de telle ou telle carte ou groupe de cartes. Dans la mesure où il est impossible d’aborder tous les cas, il s’agit avant tout de procurer des savoir-faire pour penser l’espace. Cet objectif ne peut être atteint sans une réelle compréhension de la nature des cartes et des informations spatialisées qu’elles fournissent. Pour ce faire, différents points sont abordés successivement pour aider les lecteurs à utiliser cet atlas.

 

Référentiels géodésiques, coordonnées et projections

 Chaque carte possède au moins un système complet de coordonnées incluant des coordonnées géographiques comme la latitude et longitude, ou la grille de la projection Mercator, ou encore, dans le cas des États-Unis, le State Plane Coordinate System. La latitude d’un point correspond à la distance angulaire qui sépare ce point de l’équateur. La latitude de l’équateur est donc de 0°, tandis que celle de chacun des deux pôles est de 90°. La latitude indique ainsi la position par rapport aux parallèles, lignes imaginaires parallèles à l’équateur, parallèle de référence qui est celui de la plus grande longueur. Tous les points se trouvant sur un même parallèle ont la même latitude. La péninsule coréenne est située au nord de l’équateur, entre 33° et 43° de latitude nord, ce qui correspond à peu près à la latitude de Gibraltar et à celle de Perpignan.

 La longitude est la distance angulaire entre un point et le méridien origine. Elle indique la position par rapport aux méridiens, lignes imaginaires verticales qui joignent les deux pôles. Le méridien origine, ou longitude 0°, est celui de l’observatoire de Greenwich, un quartier du sud de Londres. Les longitudes varient entre 0° et 180° à l’ouest ou à l’est. La péninsule coréenne est située entre 124° et 131° de longitude est. À titre de comparaison, cette dernière longitude est celle de Vladivostok, port de Sibérie, à 750 km au nord de Séoul.

 Il y a beaucoup d’autres systèmes de coordonnées géographiques moins connus, car de nombreux pays ont construit leur propre référentiel géodésique. Pour leurs cartes officielles à grande échelle, la France et la Belgique ont adopté les coordonnées Lambert. Ce mathématicien alsacien présenta en 1772 une projection qui sera remaniée ultérieurement à plusieurs reprises, jusqu’à Lambert 2008, désormais projection officielle de l’Europe.

 La terre n’est pas une sphère parfaite, car elle est aplatie aux pôles. Alexander Ross Clarke (1828-1914), un géodésiste britannique, a élaboré un modèle mathématique de la Terre, connu sous le nom d’ellipsoïde de Clarke, utilisé pour exprimer des coordonnées géographiques et effectuer des calculs (positionnement, distance…). C’est l’ellipsoïde de Clarke de 1866 qui a été adopté en 1927 par l’Institut d’études géologiques des États-Unis (U.S. Geological Survey) pour la réalisation de la couverture topographique du pays. En France, le référentiel géodésique de l’Institut géographique national est fondé sur l’ellipsoïde de Clarke de 1880.

 L’ouverture aux usages civils du Global Positioning System (GPS), système mondial de géolocalisation par satellite, initialement mis en place par le Département de la défense des États Unis, a rendu la localisation des lieux beaucoup plus précise. La surface du globe peut désormais être « re-cartographiée » selon les normes GPS. Le système WGS84 (World Geodesic System), utilisé pour les GPS, est intégré dans les logiciels de SIG. Le portail géomatique francophone GeoRezo permet d’approfondir ces questions.

 Maintenant que la question de la mesure de la surface de la Terre, dont les cartographes ont besoin, est réglée, il reste une autre difficulté : la projection d’une sphère sur un plan, autrement dit représenter en deux dimensions, ce qui existe en trois dimensions. Le globe étant la seule représentation exacte de la terre, toute autre représentation introduit des distorsions en déformant soit les contours des continents, soit leur superficie. Le choix de la projection, cylindrique, conique, azimutale ou elliptique, est largement lié à la situation géographique de la région à cartographier. Le géographe flamand Gerhard Kremer (1512-1594), dit Mercator, met au point une projection cylindrique conforme pour son planisphère qui conserve les angles, mais déforme la surface des continents qu’elle accroît progressivement vers les pôles. Elle reste la plus utilisée, présentant l’intérêt de pouvoir être centrée sur n’importe quel méridien, ce qui permet de placer, au gré des besoins, les différents continents au centre de la carte.

 En 1805, Carl B. Mollweide met au point une projection conçue pour les cartes à petite échelle et bien adaptée pour cartographier des phénomènes à l’échelle mondiale. Dans le canevas de Mollweide, tous les parallèles sont des lignes droites et tous les méridiens, sauf le méridien origine qui est une droite, sont des arcs elliptiques. De même, le géographe-cartographe américain, Arthur H. Robinson propose en 1963 une projection utilisable pour des cartes mondiales générales et thématiques qui améliore Mercator.

 Dans les années 1950, le cartographe allemand Arno Peters préconise une projection qui reprend celle du pasteur écossais James Gall de 1855, également précurseur des cartes pour non-voyants. La carte de Peters entend respecter l’exactitude des rapports de surfaces afin de rendre leur importance aux pays faiblement développés surtout situés dans la zone intertropicale. En revanche, elle écrase les distances et les directions.

 Les différentes projections du cartographe français Jacques Bertin sont des compromis entre la déformation des surfaces et celle des contours afin de les minimiser. La projection de l’Américain Richard Fuller qui place les déformations extrêmes au niveau des océans et conserve la forme des continents tout en les présentant dans une position mettant en valeur leur proximité, s’avère très adaptée pour illustrer les grands flux mondiaux.

 

L’importance des échelles

 L’échelle d’une carte est essentielle à sa lecture. L’échelle détermine en effet la précision de la carte ainsi que la quantité d’informations qu’elle peut présenter. Sa prise en compte n’est guère facile, ainsi d’ailleurs que la terminologie utilisée pour la définir. Il est donc nécessaire de fournir quelques précisions.

 Comme il est impossible de placer sur une feuille la totalité des éléments existant sur un territoire, la réalisation d’une carte consiste à déterminer un rapport entre la taille de cette représentation et sa taille dans le monde réel. Ainsi, une unité de mesure sur la carte correspond dans la réalité à un ensemble bien supérieur de cette même unité. L’échelle d’une carte est une fraction et peut être représentée de deux façons.

 La première, dite échelle numérique, est simplement une fraction placée sur la carte, telle que 1/10 000. Cet exemple signifie qu’un centimètre sur la carte représente 10 000 centimètres dans la réalité, soit 100 mètres. Il est d’ailleurs à noter que tout type d’unité de mesure est ainsi valide, qu’il s’agisse du système métrique utilisé en Corée comme dans la plupart des pays du monde ou de systèmes particuliers à l’exemple des miles ou des yards encore utilisés dans certaines circonstances en Angleterre ou aux États Unis. La seconde, dite échelle graphique, cherche à faciliter l’usage de l’échelle en dessinant une barre pour indiquer une distance dans le monde réel. Cette méthode permet au lecteur de mesurer directement à l’aide d’une règle une distance réelle sur la carte. Il est toutefois à noter que la courbure de la terre rend délicat ce type de mesure sur des espaces trop vastes.

 Le fait que l’échelle soit une fraction introduit une confusion dans la manière de les exprimer. En effet, une « petite échelle » offre la vision d’un vaste territoire et une « grande échelle » permet de visualiser un petit territoire avec de nombreux détails. Un planisphère est une carte à petite échelle, souvent à 1/10 000 000, permettant de représenter le monde en son entier. Un plan cadastral est réalisé à une toute petite échelle, par exemple à 1/1 000, offrant une description très détaillée du parcellaire. Ainsi, alors que toute considération d’échelle est relative, une carte routière de la Corée au 1/1 000 000 ou une carte thématique de la Corée réalisée au 1/5 000 000 pour un ouvrage peuvent être considérées comme des cartes d’échelles moyennes. En d’autres termes, puisqu’une échelle est une fraction, 1/2000 est une plus grande échelle que 1/10 000. En effet, le résultat de 1 divisé par 2 000 (= 0,0005) est plus grand que celui de 1 divisé par 10 000 (= 0,0001).

 Aujourd’hui, grâce aux fortes capacités de stockage des ordinateurs et à leur grande rapidité d’accès aux données, il est possible sur un site comme Google Maps, qui incorpore de très vastes quantités d’informations, de passer en quelques secondes d’une très petite à une très grande échelle et de pouvoir visualiser des types de données très différentes. Le changement est si rapide qu’une personne non avertie ne réalise pas être passée d’une base de données à une autre.

 

Les principaux types de cartes

 Il existe plusieurs façons de classer les cartes, sachant que certaines peuvent relever de plusieurs catégories et que d’autres n’entrent dans aucune d’entre elles. On distinguera ici, selon leur technique de réalisation ou leur fonction, six types de cartes ou documents apparentés :

 - Les plans cadastraux sont des cartes à très grande échelle. Ils enregistrent et localisent la propriété des parcelles à l’échelle locale. Soigneusement élaborés par des géomètres, ils montrent un grand nombre de détails afin que les parcelles soient clairement délimitées. Dans le passé, les plans cadastraux étaient conservés dans les institutions locales où ils pouvaient être consultés, recopiés et révisés lors de transactions foncières ou immobilières. Dans de nombreux cas, les plans cadastraux servent aussi à déterminer le montant des impôts fonciers. Aujourd’hui, ces documents sont de plus en plus numérisés, ce qui facilite leur utilisation.

 - Les cartes topographiques sont les cartes de référence les plus courantes. Elles représentent en particulier le relief par des courbes de niveau. Le degré de précision de ces cartes est généralement plus élevé que celui des autres types de cartes, puisqu’elles sont basées sur des relevés photogrammétriques et réalisées à l’aide de GPS. Bien sûr, le degré de précision de telles cartes dépend de leur échelle, par ailleurs généralement plus grande que tout autre type de cartes, 1/100 000, 1/50 000 ou 1/25 000... Quelques-unes de ces cartes de référence sont si précises que les ingénieurs des Ponts et Chaussées les utilisent quand ils construisent des routes, des ponts et autres infrastructures. Certaines cartes d’atlas, qui représentent de nombreux lieux, avec leur toponyme et leurs caractéristiques, peuvent aussi être considérées comme des cartes de référence bien qu’elles ne soient pas aussi précises que des cartes topographiques.

 - Les cartes routières aident à se rendre d’un endroit à un autre. Elles donnent les itinéraires pour atteindre une destination. Les cartes marines et les cartes de navigation aérienne peuvent à ce titre être rapprochées des cartes routières proprement dites. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, les conducteurs préfèrent les GPS installés sur le tableau de bord de leur voiture ou disponibles sur leur téléphone portable, et utilisent leur fonction vocale, très commode pour se guider. Toutefois, même les GPS les plus performants ne sont pas totalement fiables, car on continue à construire de routes, des autoroutes et des ponts. Leur bon fonctionnement dépend de la fréquence d’actualisation des bases de données géolocalisées sur lesquelles ils reposent. En outre, les GPS peuvent être basés sur une carte inexacte. La prudence est toujours conseillée quand on utilise les GPS pour se déplacer et il est important d’apprendre à détecter les situations où les instructions ne conduisent pas à la bonne destination.

 - Les cartes thématiques sont consacrées à un sujet particulier, mais leur contenu peut être pauvre en informations localisées puisque leur fonction est de présenter un thème dans un territoire donné à un moment donné. Elles sont réalisables dès lors qu’on dispose de données cartographiables. Par exemple, une carte des densités de population est une carte thématique : les organismes chargés des recensements publient ce type de cartes. Plus généralement, les grandes agences gouvernementales produisent une grosse quantité de cartes thématiques. Alors que les statistiques procurent beaucoup d’informations sous forme de tableaux, les cartes thématiques offrent l’avantage de saisir la répartition des phénomènes en visualisant leur concentration ou leur diffusion sur le territoire. Ces cartes ne sont obligatoirement basées sur des statistiques. Par exemple, une carte de l’utilisation du sol en milieu urbain peut montrer les espaces bâtis et les zones commerciales, les quartiers de maisons individuelles et ceux d’immeubles collectifs, les axes de transport, les bâtiments publics (écoles, hôpitaux, prisons, etc), les espaces de loisirs...

 - Les photographies aériennes et les images satellitaires constituent une catégorie de documents assimilables à des cartes. Comme le souligne Philippe Cadène dans son livre intitulé Commentaire de cartes et de documents géographiques, « les photographies aériennes possèdent un avantage considérable sur les cartes : elles sont la représentation fidèle de la réalité, [...] et autorisent des agrandissements visant à accroître la précision du document si cela se révèle nécessaire ». Les images satellitaires, quant à elles, sont « des ensembles de données numérisées, composées de nombreux points élémentaires, ou pixels, qui recouvrent la totalité de la scène envisagée et qui sont traités pour reconstituer des images » (Cadène, 2004). La familiarité croissante des spécialistes et du grand public avec ces images produites en traitant les données fournies par les satellites les font souvent considérer comme des cartes. Google Earth est devenue la forme la plus connue de cette catégorie de documents. L’interprétation de ces images nécessite un apprentissage différent de celui requis pour analyser les cartes de référence ou les cartes thématiques.

 - Les cartes animées et interactives sont réalisées grâce aux Systèmes d’Information Géographique (GIS), logiciels qui permettent aux cartographes de créer des cartes dynamiques, incluant des animations, par exemple une carte évolutive du nombre d’utilisateurs d’internet selon le moment de la journée. Certaines sont mêmes créées en temps réel et peuvent présenter une réalité virtuelle en trois dimensions avec des vues à 360°. Elles peuvent aussi être couplées avec des caméras vidéo placées sur les lieux. Les cartes animées sont bien adaptées pour représenter des phénomènes qui évoluent dans le temps ou se déplacent dans l’espace. La combinaison du multimédia et de la cartographie se révèle très efficace. Elles sont accessibles sur tablettes et téléphones portables. Elles peuvent aussi être le support d’activités pédagogiques et leur usage se développe dans l’enseignement secondaire.

 - D’autres types de cartes existent et il serait difficile de toutes les énumérer. On se bornera ici à mentionner les cartes tactiles, les cartes mentales et les cartes en anamorphoses. Les cartes tactiles sont conçues spécialement pour les malvoyants. Les cartes mentales sont des représentations des lieux fondées sur notre expérience ou notre capacité à les imaginer. Les cartes en anamorphoses ne respectent pas la proportionnalité des superficies, mais celle des valeurs prises par le phénomène considéré. Ce n’est plus la surface occupée par un phénomène qui est donnée à voir mais l’importance du phénomène lui-même. Si c’est la taille des populations qui est prise en compte, la place occupée par un pays ou une région sur l’anamorphose ne sera plus proportionnelle à la dimension de son territoire mais à l’importance de sa population. Ainsi, la Chine sera la plus vaste, suivie par l’Inde, bien que la Russie soit plus étendue.

 

Les techniques cartographiques et la diffusion des cartes

 Le processus d’élaboration cartographique ne peut guère être décrit en quelques paragraphes. Il en est de même des diverses modalités de présentation des cartes. Depuis les années 1960 et 1970, de nombreux cartographes ont réfléchi à ces questions et leurs conclusions sont encore valides de nos jours. Le schéma suivant présente les différentes étapes de la réalisation et de la présentation des cartes.

 La première étape consiste bien sûr à définir l’objet de la carte. L’étape suivante est celle de la collecte des informations et des données qu’il s’agit de cartographier à l’échelle adéquate. Existe-t-il des données utilisables dans les agences gouvernementales ? Dans le cas contraire, quelles sont les difficultés pour collecter les informations nécessaires ? Les méthodes habituelles de collecte de données incluent les informations de localisation par GPS, les informations extraites des photographies aériennes et des images satellitaires, celles récoltées à basse altitude par des drones, mais aussi les informations obtenues par des enquêtes effectuées sur le terrain, par questionnaires ou entretiens auprès de différents individus. Toutes les méthodes permettant d’intégrer des informations géolocalisées sont en vérité utiles.

 Il faut ensuite organiser les informations rassemblées afin de les cartographier. À ce moment d’importantes décisions doivent être prises, liées à la taille des données collectées. S’il s’agit d’une masse importante d’informations, le premier travail consiste à déterminer l’adéquation de l’ensemble de données à l’échelle et aux autres paramètres de la carte envisagée. Si le nombre de données est limité, il faut alors savoir si elles sont suffisantes pour représenter des phénomènes spatiaux. Il faut évidemment s’assurer que les données sont fiables et suffisamment précises pour être cartographiées. Il est aussi nécessaire de prendre en compte la capacité des lecteurs et des utilisateurs des cartes à analyser les informations fournies.

 D’une manière générale, les données rassemblées par les agences gouvernementales tendent à être rigoureuses et fiables, mais elles ne sont pas exemptes d’erreurs, voire d’omissions. Les données collectées par les chercheurs dépendent des efforts mis en œuvre, des financements à leur disposition et de bien d’autres critères. Le nombre de données recueillies peut être un indicateur sur les moyens mis en œuvre, d’où peut dépendre la qualité. Les principaux organismes de recensement démographique des États tendent à rassembler des ensembles complets d’informations sur la totalité de leur population. Les enquêtes effectuées dans d’autres domaines peuvent être simplement réalisées à l’aide de méthodes de sondages, en ne considérant par exemple que 10% ou 20% des populations et en extrapolant à l’aide de méthodes statistiques afin de fournir des résultats envisagés comme valides pour 100% de la population. Comme les méthodes suivies pour collecter les données ne sont généralement pas indiquées en légende des cartes, le lecteur ne peut pas connaitre la base des calculs. De nos jours, alors que les données numérisées sont de plus en plus nombreuses et accessibles sur internet, les activités de collecte automatique des données peuvent conduire à de graves erreurs, alors que par ailleurs sont nombreux les actes de piratage de données dont la diffusion n’est pas autorisée.

 Il apparait clairement que les cartographes portent une grande responsabilité dans la sélection des informations disponibles. Le choix de certaines données pertinentes conduit par ailleurs souvent à l’oubli d’autres données qui auraient pu également être utilisées. La détermination de méthodes d’organisation des données est aussi fondamentale, tout autant que celles de leur représentation qui doivent conduire à faciliter la lecture et l’interprétation des cartes.

 Les bases de données peuvent également être complexes. Elles doivent d’ailleurs être simplifiées en fonction de la capacité de l’échelle choisie à représenter un ensemble de données. Par exemple, de nombreuses cartes montrent seulement les routes principales dans un territoire urbain afin de fournir une image cohérente de la structure de l’espace bâti. Cela ne signifie pas que d’autres routes plus petites, rues, impasses ne sont pas présentes. Ces éléments plus petits et moins importants ont été supprimés afin de ne pas créer un désordre visuel et nuire à la compréhension de la carte par le lecteur. La simplification des données peut être réalisée de différentes manières. Le lecteur doit être informé que la simplification est une pratique fréquente en cartographie. Le degré de simplification est essentiel dans la transmission de l’information géographique par le cartographe.

 Finalement, toutes les informations cartographiées doivent être symbolisées sous forme graphique afin d’être placées sur la carte. L’usage de symboles propres à la cartographie doit aussi contribuer à la facilité de visualisation de la carte par le lecteur. Quelques symboles sont plus intuitivement interprétés que d’autres. Certains seraient si petits s’ils étaient cartographiés à l’échelle véritable que le cartographe juge qu’il est préférable d’exagérer la taille du symbole afin de le rendre au moins visible par le lecteur. Utiliser le mauvais symbole ou des symboles visuellement non efficaces conduira à fournir une mauvaise image mentale de la carte telle qu’elle peut être interprétée du lecteur.

 Ainsi, le cartographe est réellement chargé au travers du processus de simplification dans la sélection, la classification, la symbolisation et l’exagération des données ou des informations avant que la carte finale soit convenablement dessinée avec le cadre graphique optimal et puisse atteindre l’objectif décidé. Une fois que la carte est finalisée et produite, elle est prête à être diffusée, soit publiée sur une feuille, un ouvrage, un atlas ou sous une forme digitale pour être placée sur internet ou tout type d’écrans.

 Bien sûr, le cartographe n’est que très rarement présent pour être consulté par le lecteur de la carte. Le seul moyen de communication qui lie le cadre conceptuel et l’objectif de la carte à la compréhension des éléments cartographiés est l’ensemble des symboles, la légende, le titre et tout autre information qui sont soigneusement dessinées et placées sur la carte. La légende est particulièrement importante pour traduire les informations cartographiées en image mentale. Il dépend du seul effort du lecteur de visualiser, analyser et interpréter la carte et de déterminer la part du message délivré par le cartographe qu’il va être à même de comprendre et d’assimiler. Des lecteurs différents auront des capacités variées à conduire ce processus de lecture d’une carte. Aujourd’hui, avec la nature interactive d’internet, les cartes publiées sur le réseau peuvent parfois permettre au lecteur de poser des questions à la personne ayant publié des cartes et même de fournir ses propres commentaires au cartographe.

 Permettre au lecteur de comprendre l’intention dans laquelle est réalisée une carte est le but ultime du cartographe. Cependant, il existe un processus intellectuel d’un niveau encore plus élevé dans lequel le lecteur d’une carte peut s’engager : élaborer des hypothèses et développer des idées à partir des éléments présentés par la carte. Il s’agit d’effectuer des liens entre divers points, entre un élément de l’espace et un autre, ou entre le même élément spatial présenté dans deux cartes différentes, en particulier dans le cas des atlas, ou à deux différentes périodes de temps. Cela nécessite la mise en œuvre d’un certain savoir-faire permettant de penser l’espace, de faire des associations entre les espaces, de visualiser les espaces cartographiés et de produire un nouveau savoir sur l’espace à partir d’une carte. La lecture commune de la carte présentant la croissance moyenne annuelle de la population et les régions défavorisées et de celle concernant les nouveaux espaces de production industrielle permet d’illustrer la manière d’associer deux cartes. Leurs titres ne permettent pas de les relier. Pourtant, il est possible de produire à partir de ces deux cartes une nouvelle, présentée à leur droite, en superposant l’aire définie comme celle des régions défavorisées de la première carte sur la seconde, montre qu’à l’intérieur de cet aire ne se trouvent que quatre nouveaux espaces de production industrielle. Il est alors possible d’imaginer l’existence d’une boucle de causalité dans laquelle la faiblesse de la croissance de la population conduirait à la décision de ne pas implanter de nouveaux espaces productifs dans ces régions défavorisées, participant ainsi à leur déclin démographique. Un champ de recherche s’ouvre ainsi avec la mise en relation de ces deux cartes. Ce processus permet d’élaborer des hypothèses, qui sont à la base de toute démarche scientifique. La réflexion sur l’espace que permettent les cartes et la mise en relation de cartes entre elles sont des occasions de découverte de nouvelles hypothèses et ouvrent sur des connaissances nouvelles.

 

La nature des données cartographiques

 Toutes les cartes ne sont pas de qualité équivalente. Pour évaluer l’exactitude d’une carte, il importe d’acquérir une bonne compréhension de la nature des données cartographiques qui peuvent être classées selon plusieurs critères et présentent des caractéristiques visuelles différentes.

 - L’implantation du phénomène peut être ponctuelle (maison, école, point culminant...), linéaire (route, fleuve, oléoduc…) ou zonale (région, quartier, lac...), ce à quoi correspondront respectivement sur la carte des points, des lignes ou des aires.

 - Les données temporelles peuvent être historiques ou contemporaines, actualisées ou dépassées. Il est donc important que le cartographe précise dans le titre ou la légende la date des données. Naturellement, les données en temps réel (telles que les balayages continus de la Terre par satellite) sont aussi actuelles que possible. Pour retracer des évolutions sur différentes durées, horaires (par exemple, carte évolutive du nombre d’utilisateurs d’internet selon le moment de la journée), journalières (carte météo par exemple), hebdomadaires, mensuelles, annuelles, décennales ou centenaires, voire millénaires, et avec différents pas de temps (par exemple de 10 ans en 10 ans ou d’un recensement quinquennal à un autre), il est possible de concevoir des cartes dynamiques.

 - Les variables retenues peuvent être qualitatives, c’est-à-dire prendre des valeurs non numériques (ex. nature des roches). Les documents d’aménagement qui représentent souvent la répartition spatiale des activités sont un bon exemple de carte qualitative. Les variables quantitatives peuvent prendre des valeurs numériques (ex. production d’automobiles). Les valeurs numériques peuvent être continues (nombre d’habitants des villes) ou organisées en classes séparées par des seuils (villes hiérarchisées par catégories selon leur nombre d’habitants). Pour la densité de population, le nombre d’habitants divisé par l’unité de surface peut donner 922,6431475411 hab./km2. Un tel nombre à dix décimales sera bien sûr arrondi à 923 et pourra être par exemple cartographié dans la catégorie 800 à 1000 hab./km2.

 - En termes de spatialisation, les données spatialisées ou données géographiques définissent précisément la localisation des données cartographiées, par exemple géolocalisation, mention de la position en latitude et en longitude. Les données non spatiales incluent les données d’attributs ou données thématiques sur une entité géographique. Par exemple, la localisation des stations de surveillance de la qualité de l’air à Dakar et à Thiès est une donnée spatiale, tandis que les teneurs en microparticules et en composés organiques volatils comme le benzène qui sont enregistrées par ces stations constituent un ensemble de données thématiques. En situant sur une carte les données thématiques associées à chacune de ces stations, on peut avoir une vision d’ensemble de la répartition géographique de la pollution atmosphérique dans toute cette région urbanisée du Sénégal.

 - Les cartes peuvent représenter des données concrètes ou des données abstraites. Les données concrètes renvoient à des choses directement visibles, par exemple l’utilisation du sol en milieu urbain où l’on peut délimiter quelles parties de la ville sont dévolues aux espaces verts, à des usages commerciaux, industriels ou résidentiels, informations facilement observables et cartographiables. Les données abstraites sont des choses que l’on ne voit généralement pas, par exemple la pression atmosphérique représentée sur les cartes isobariques.

 - L’origine des données est un autre critère de classement des cartes. Les données primaires peuvent provenir de sources statistiques, d’enquêtes de terrain ou de relevés par des instruments de mesure. Les données dérivées sont issues de calculs simples ou de traitements sophistiqués par ordinateur. Par exemple, en prenant la population de l’Ile de France disponible dans le Recensement de la population de l’INSEE ou celle de la région du Grand Casablanca-Settat dans le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) du Maroc et en la divisant respectivement par la superficie de l’Île-de-France ou de la région du Grand Casablanca-Settat, on obtient une donnée dérivée qui est la densité de population.

 - En termes de mesures, on peut s’appuyer sur des données nominales, ordinales, d’intervalle ou de ratio. Une information comme une maison ou un phare ou un barrage est une donnée nominale, car elle est qualitative et ne peut faire l’objet d’aucun classement étant une entité géographique individuelle. Une donnée ordinale est une information qui a fait l’objet d’un classement, mais sans précision numérique. Par exemple, sur une carte montrant les quartiers avec un taux de criminalité élevé, moyen ou faible dans une ville, le lecteur ne sait pas précisément ce qui est considéré comme élevé, moyen ou faible, ni les seuils séparant ces catégories. Petite, moyenne et grande exploitation sur une carte des structures agraires est un autre exemple de données ordinales ou encore brûlant, chaud, froid, très froid. Les données d’intervalles sont des données classées comme les données ordinales, mais dont on connaît les valeurs numériques. Les cartes de températures selon un classement de 10° en 10° Celsius en sont un exemple classique. Les données par ratio offrent de riches possibilités d’analyse statistiques.

 - On peut différencier les cartes par le format des données. En cartographie numérique, il existe deux formats de données : raster ou vecteur. Le format raster produit une carte constituée par un ensemble de pixels. Chaque pixel correspond à un simple point. Comme en photographie, plus le nombre de pixels est élevé, meilleures sont la précision de la carte et la représentation des données. Les photographies aériennes, les images satellitaires et quelques cartes de relief sont en format raster. Le format vecteur permet de réaliser des cartes à partir de données définies par un système de coordonnées, avec des valeurs x et y situées sur un plan bidimensionnel et des valeurs z introduisant une troisième dimension. Ces valeurs x, y et z peuvent être continues, comprendre plusieurs chiffres après la virgule et être représentées par un nombre infini de points. Chacun des points possède donc une position spécifique dans un système de coordonnées. Deux points constituent une ligne, soit un arc dans le vocabulaire des SIG. Trois points ou plus construisent une aire, nommée polygone. Le format vectoriel a l’avantage de permettre aux logiciels de SIG de construire une topologie, c’est à dire un système mathématique qui permet de calculer les relations spatiales précises et parfaitement définies entre les données. Classant les espaces par leur dimension et leur forme, la topologie est une part essentielle du processus d’analyse spatiale en informatique et du fonctionnement des logiciels de SIG.

 Les deux diagrammes présentant les formats raster et vecteur illustrent leurs différences en termes de construction de données. Alors que les formats rasters mettent en valeur les relations spatiales entre unités spatiales, les formats vecteurs sont plus efficaces pour déterminer les configurations prises par les relations spatiales. Lorsque l’on prend deux points dans un base de données vectorielles, si une direction peut être établie entre ces points, alors il est possible d’identifier un certain nombre de relations. À partir du diagramme vecteur, si l’on considère le point A comme origine (le nœud de début dans les SIG) et le point E comme destination (le nœud de fin), on peut calculer la distance et la direction de l’itinéraire entre A et E. De plus, on peut également décrire le point K par rapport à cet itinéraire. K est à droite de l’itinéraire suivi. Ainsi, dans une base de données urbaine, un SIG peut localiser un lieu à partir d’une adresse, en considérant comme nœud chaque intersection de rues et en situant ce lieu par rapport aux nœuds définis. Par le même processus, on peut prendre n’importe quel couple de points et les relier par une ligne ou prendre n’importe quel ensemble de points et construire une aire. Dans les deux diagrammes, la surface en gris ABCDEA constitue une aire fermée. Utilisant la typologie, on peut conclure que le point K est contenu dans cette aire et que le point J est à l’extérieur. Si les points, les lignes et les aires peuvent être localisés dans l’espace à partir d’un système de coordonnées, des zones tampons peuvent être construite autour de chacune de ces figures spatiales. Ces zones tampons peuvent être utilisées pour englober d’autres unités spatiales dans une base de données relationnelles. Par exemple, le SIG peut utiliser les zones tampons afin d’arrondir le nombre d’habitants résidant dans l’espace qu’elles définissent. De même, si une rivière est considérée comme ayant un potentiel d’inondation de 30 mètres au-delà de ses rives, une zone tampon linéaire permet d’identifier l’ensemble des maisons risquant d’être inondées. Enfin, on peut ajouter dans le SIG des couches de données spatialisées spécifiques afin d’accroitre les possibilités et la puissance d’analyse et l’augmenter encore en croisant les données contenues dans les différentes couches.

 La précision cartographique est une notion relative car celle-ci varie fortement d’une carte à l’autre. Certaines peuvent être précises sur quelques points et imprécises sur d’autres. D’une façon générale, les cartes à grande échelle sont censées offrir une plus grande précision que celles à petite échelle. Pourtant, réaliser une carte doit être un travail précis lorsque sa qualité est d’une importance vitale. L’imprécision ou même l’absence d’informations peut conduire à des erreurs fatales, en matière de transport par exemple. Cette question peut donner lieu à des débats devant les tribunaux. Or il est impossible de dresser une liste des meilleures solutions ou des erreurs possibles, et pourtant les erreurs cartographiques peuvent avoir de graves conséquences.

 

Précision et erreurs cartographiques

 La précision et la qualité d’une carte dépendent de divers facteurs. Les cartes produites par les services cartographiques nationaux, à l’exemple de l’Institut national de l’information géographique et forestière français (IGN) ou de l’Institut national de l’information géographique de Corée tendent à bénéficier des meilleures technologies et apparaissent comme des documents de référence. Les bases de données que ces instituts réalisent peuvent alors être utilisées pour des objectifs divers. Quel que soit l’organisme qui préside à sa réalisation, la précision et la qualité d’une carte résident dans les méthodes de collecte et d’analyse des données et le nombre d’unités spatiales pris en compte. La précision de la carte est tout particulièrement liée à ces facteurs, même si sa réalisation est exempte d’erreurs.

 Il est toutefois difficile d’éviter l’erreur en cartographie. La simple projection de la Terre en trois dimensions sur une feuille de papier en deux dimensions ou sur un écran d’ordinateur introduit un biais. Ce biais dépend de l’échelle, de la superficie du territoire cartographié et de nombreux autres facteurs. De plus, la sélection des données, les méthodes de généralisation et toutes les autres étapes dans le processus cartographique peuvent introduire des erreurs. C’est au cartographe mais aussi au lecteur d’apprendre à reconnaitre les erreurs et à comprendre pourquoi et où elles ont été produites. S’il est impossible d’envisager tous les problèmes possibles, une présentation des principales erreurs rencontrées tant dans la réalisation des cartes que dans leur présentation peut être utile. La liste suivante indique quelques cas les plus fréquents.

 - Les erreurs temporelles : utiliser ou lire une carte trop ancienne, dont les données sont obsolètes et les informations éloignées de la réalité.

 - Les erreur d’échelle : utiliser une échelle inappropriée à l’objectif de la carte.

 - Les erreurs dans le choix des symboles : utiliser un symbole d’une taille trop importante pour pouvoir situer sur la carte le lieu où l’élément cartographié se trouve dans la réalité.

 - Les erreurs de localisation : placer un symbole cartographique au mauvais endroit sur la carte.

 - Les erreurs dans l’évaluation des distances : considérer les distances entre deux lieux placés sur la carte sans prendre en compte le relief.

 - Les erreurs dans les données : utiliser des données fausses pour la réalisation de la carte ou oublier d’utiliser des données importantes.

 - Les erreurs techniques : utiliser des instruments qui ne fonctionnent pas.

 - Les erreurs de calcul : utiliser des méthodes cartographiques inadaptées ou faire des erreurs dans les procédures de calcul.

 - Les erreurs de généralisation : faire des erreurs dans les méthodes de généralisation visant par exemple à simplifier le tracé des lignes indiquant des frontières ou des frontières.

 - Les erreurs de résolution : réduire la taille d’une carte en format raster et conduire à une fusion de pixels induisant la disparition d’informations importantes.

 - Les erreurs de modélisation : utilisation d’une méthode de modélisation inappropriée

 - Les erreurs de perception : interpréter de façon erronée le titre, la légende, les symboles et autres informations contenues dans la carte.

Face à cette liste bien incomplète, le lecteur doit s’exercer à faire preuve de prudence et de vigilance dans la lecture des cartes et acquérir de l’expérience afin de détecter les erreurs cartographiques de manière à tirer le maximum d’informations d’une carte et de pouvoir bénéficier pleinement de son usage.

 

Les cartes thématiques et leur interprétation

 Comme beaucoup d’autres atlas le présent ouvrage contient essentiellement des cartes thématiques. Comme nous venons de l’expliquer une carte thématique se focalise sur un thème qui peut être la population, l’utilisation du sol, les ressources naturelles ou n’importe quel autre thème du ressort de l’information géographique. On fait des cartes thématiques parce qu’elles peuvent en dire beaucoup sur la répartition spatiale de faits économiques, démographiques, environnementaux ou politiques, par exemple les cartes électorales. Visualiser la concentration ou la dispersion d’un paramètre est précieux pour aider les décideurs à choisir les meilleures localisations possibles. Les cartes thématiques peuvent donc être des outils d’aide à la décision. Le nombre de sujets cartographiables est illimité sous réserve que les données soient disponibles. Avec les logiciels actuels, il est facile de produire une carte thématique en quelques clics. Or, concevoir une bonne carte thématique ayant du sens est un processus compliqué. Les paragraphes qui suivent sont donc une introduction aux différents types de cartes. Ils entendent aussi montrer les différentes méthodes de cartographie thématique et leur complexité ainsi que celle de leur interprétation qu’il s’agisse de cartes qualitatives ou de cartes quantitatives.

Dans la formation en géographie, on met désormais l’accent sur la technologie et l’apprentissage de l’usage du GPS pour produire des cartes au détriment de questions souvent négligées ou oubliées et pourtant simples. Pour favoriser la compréhension de la dimension territoriale des phénomènes par l’étudiant, on doit se demander :

 - Pour quelle raison ou pour quel objectif fait-on cette carte là ?

 - Est-ce que la carte traduit bien la signification géographique de ce que l’on représente ?

 - Est-ce qu’un étudiant comprend facilement le message transmis ?

 - Quelle est l’aptitude ou la capacité de l’étudiant à interpréter la carte compte tenu de la grande diversité des types de cartes et des différents choix cartographiques possibles ?

 - Quant au professeur, quel effort consent-il pour enseigner la cartographie en enseignant aussi la lecture, l’analyse et l’interprétation des cartes ?

 Il n’y a évidemment pas de réponse simple à ces questions et à d’autres relativement à la perception de l’espace et à compréhension des territoires. Mais, il ne faut pas les éluder car l’interprétation des cartes est un facteur clé pour améliorer l’enseignement de la géographie. Pour analyser une carte, on doit connaître les quelques règles de base qui régissent la logique entre le titre, la légende, l’échelle, les données, la technique cartographique et l’aspect visuel. Les cartographes expérimentés et les dessinateurs cartographes combinent tous ces éléments pour créer une carte. Pour lire convenablement une carte, il est nécessaire de faire preuve de bon sens, mais une connaissance générale, voire spécifique, de la géographie du lieu cartographié est un atout. Appliquer cette connaissance des lieux à la carte peut bien sûr aider à l’interpréter, comme vont le montrer quelques exemples.

 Il n’est évidemment pas possible de présenter ici toutes les configurations spatiales, mais s’entraîner à observer de près ce que telle ou telle configuration implique aidera sans aucun doute au raisonnement spatial. Outre les modèles spatiaux, la question de la temporalité doit également être prise en compte. Comprendre l’effet du cadre temporel sur l’organisation de l’espace peut également être déterminant pour la lecture de cartes. Par exemple, un tracé en zigzags avec des virages en épingle à cheveux implique normalement une route en pente raide qui gravit une montagne. Bien qu’une telle route procure apparemment un bon accès au sommet de la montagne, la période de l’année peut jouer un rôle important car la neige peut la rendre impraticable. La même chose peut arriver avec des cours d’eau intermittents avec l’alternance de saisons sèches et de saisons arrosées. Ajouter le bon sens aux compétences géographiques améliorera la lecture et l’interprétation des cartes.

 

Les cartes thématiques quantitatives

 Les cartes quantitatives sont basées sur le principe de traitement de la surface de la terre en tant que surface statistique ou dotée de points correspondant à des données statistiques. Comme on l’a vu toute localisation à la surface du globe peut être identifiée par sa latitude et sa longitude (x et y dans un système de coordonnées à deux dimensions). Par ailleurs, tout point au-dessus du niveau de la mer a une altitude. L’altitude d’un point est donc considérée comme une troisième dimension (z dans un système de coordonnées à trois dimensions). Outre l’altitude, de nombreuses données peuvent être cartographiées en tant que valeur z, par exemple la hauteur des précipitations relevées par un pluviomètre. Si on dispose d’instruments de mesure de la teneur en dioxyde de carbone dans l’air, on peut littéralement collecter les points de concentration du dioxyde de carbone à chaque carrefour dans une ville et créer une surface statistique du dioxyde de carbone pour cette ville. On peut alors cartographier la concentration du dioxyde de carbone en utilisant des méthodes de modélisation. La gamme des surfaces statistiques cartographiables est aussi diversifiée que les instruments de mesure, les recensements ou les enquêtes couvrant un territoire. Les cartes thématiques sont ainsi aussi diverses que les techniques de collecte des données permettant de récolter des informations spatialisées.

 Nous allons approfondir l’explication des cartes thématiques en commençant par la méthode cartographique la moins répandue, celle des cartes dites dasymétriques, puis nous poursuivrons avec la méthode plus courante des cartes appelées isarithmiques et ensuite avec celle largement utilisée des cartes par points et symboles proportionnels, avant de terminer par la méthode la plus populaire pour les cartes thématiques, celle des cartes choroplèthes.

 

Les cartes dasymétriques

 Les méthodes de cartographie dasymétrique sont peu utilisées car elles nécessitent le recours à diverses informations cartographiques venant en appui de la carte à réaliser et permettant ensuite de valider le travail effectué. Ces cartes sont produites à partir de données identiques à celles utilisées pour réaliser des cartes choroplèthes ou cartes par plages. On désigne ainsi une représentation par plages d’intensité graduée de données quantifiables relatives à une entité géographique donnée. Ce procédé a été utilisé pour la première fois par le Français Charles Dupin en 1826 qui parle de « carte teintée » et c’est le géographe américain John K. Wright qui invente le terme choroplèthe du grec chora (territoire) et plethos (quantité) pour désigner ce type de cartes. Les cartes de densité où le nombre d’habitants par superficie des entités administratives où ils résident est représenté par des plages de couleurs hiérarchisées du plus clair pour les densités les plus faibles au plus foncé pour le plus dense est un exemple classique de cartes choroplèthes. Les cartes dasymétriques divergent toutefois de simples cartes choroplèthes en ce que les zones différenciées ne sont pas délimitées par les limites des unités administratives au sein desquelles sont réalisés les recensements. On calcule des moyennes pour chaque subdivision permettant de lisser les informations et de constituer des hiérarchies de plages homogènes. Les logiciels de cartographie et les SIG permettent aujourd’hui de créer ce type de cartes qui offrent la possibilité de synthétiser plusieurs cartes en une seule.

 

Les cartes thématiques qualitatives

 Les cartes thématiques qualitatives montrent la localisation et la répartition spatiale de phénomènes géographiques particuliers. C’est le cas notamment des cartes d’aménagement du territoire, des cartes géologiques, des cartes pédologiques, des cartes des réseaux de transport, des cartes de la végétation ou de celles de la faune… Elles ne sont pas de nature quantitative et ne sont pas destinées à établir des classements. En revanche, elles peuvent monter très efficacement la concentration ou la dispersion d’un phénomène.

 Interpréter une carte qualitative semble facile dans la mesure où aucune donnée numérique n’entre en jeu. Pour toute carte qualitative, la légende de la carte et l’explicitation des symboles jouent un rôle essentiel. La légende doit toujours révéler à quoi correspond chacun des symboles présents sur la carte. Mais l’interprétation de la carte va au-delà de la capacité à identifier ce que représente tel ou tel symbole. Le lecteur doit aussi visualiser tous les endroits où l’on retrouve un même symbole sur la carte et son aptitude au raisonnement géographique le conduit à la connaissance du territoire. La carte de la répartition des espèces en danger est un bon exemple de carte qualitative. Sur cette carte, divers symboles renvoient à différentes espèces en danger. Un carré vert représente Anconitum coreanum, communément appelé « capuchon de moine coréen ». Se poser la question de localisation de cette fleur, - est-ce qu’elle correspond à un schéma particulier, linéaire, dispersé, groupé, dissymétrique ? -, conduit à un examen de la carte qui apporte la réponse. Le lecteur peut aisément repérer l’habitat de cette plante sur la carte et en conclure que Anconitum coreanum se regroupe dans des lieux isolés en haute montagne.

 

Les cartes isarithmiques

 Les cartes isarithmiques ou cartes par lignes sont constituées d’un ensemble de lignes joignant les points possédant tous la même valeur de la variable. Ces lignes sont nommées isolignes. Certaines de ces isolignes représentent des données physiques. Les plus fréquentes se trouvent sur les cartes topographiques. Ce sont les courbes de niveau représentant le relief par des lignes joignant les points d’égale altitude, de même que les isobathes des cartes marines joignent les points d’égale profondeur. Sur les cartes climatiques, on parle d’isothermes pour les lignes reliant les points de même température et d’isohyètes lorsqu’elles relient des points d’égal total de précipitations tombées en une période déterminée. Sur les cartes météorologiques, des isobares relient les points de pression atmosphérique identique. D’autres cartes en isolignes sont réalisées à partir de données issues de travaux de recherche. On peut ainsi classer dans cette catégorie les isochrones qui indiquent les distances-temps à partir de lieux. De telles cartes sont utiles pour représenter les effets de la mise en place de systèmes de train à grande vitesse comme le TGV en France ou le KTX en Corée.

 

Les cartes par points

 Une carte par points représente la distribution d’une population. Elle est facile à réaliser et à interpréter. Sur une carte par points, le cartographe choisit la valeur qu’il considère comme adéquate pour représenter une population, par exemple chaque point représente 200 personnes. Ainsi, pour un territoire comptant un million d’habitants 5 000 points seront portés sur la carte. Mais si le cartographe décide que chaque point correspond à 250 personnes, on aura alors 4 000 points sur la carte, ou si chaque point représente 1 000 personnes, on aura 1 000 points pour un million d’habitants. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de choisir combien représente chaque point, 200, 250 ou 1 000 dans l’exemple ci-dessus. Pour faire son choix, le cartographe doit tenir compte de plusieurs facteurs dans la mesure où la taille de la carte, la taille des points, la répartition du phénomène contribuent à l’aspect et à la lisibilité de la carte. Un petit format de page ou de carte va inciter le cartographe à attribuer une plus grande valeur à chaque point pour limiter le nombre de points. Inversement, des dimensions plus grandes permettront de dessiner davantage de points, ce qui augmentera la précision de la localisation des points et montrera donc la répartition de la population de façon plus fine.

 Comme le lecteur moyen ne sait pas comment la carte par points a été élaborée, une lourde responsabilité pèse sur le cartographe en ce qui concerne ses choix cartographiques. Les bonnes décisions sont celles qui débouchent sur la carte ayant les meilleures chances de communiquer à celui qui lit la carte une répartition précise de la population. Quand on fait une carte par points, on se heurte à un autre type de difficulté qui tient à l’emplacement des points. Supposons que chaque point représente 1 000 personnes. Si petite soit la taille des points, il est improbable que la totalité de ces 1 000 personnes vivent dans un espace correspondant à l’emplacement du point, sans parler de l’ensemble des points sur toute la carte. S’il veut être précis, le cartographe doit avoir une bonne connaissance du territoire à cartographier et exercer son jugement pour placer le point au centre de gravité de la localisation du groupement de 1 000 personnes représenté par le point. Les lecteurs doivent réaliser que si la production d’une carte points est simple, la réflexion nécessaire en amont pour situer avec précision les points à l’emplacement adéquat peut prendre beaucoup de temps. C’est une des raisons pour lesquelles on choisit souvent de préférence d’autres méthodes cartographiques que les cartes par points.

 Un autre élément joue un rôle dans la réalisation de la carte : la sélection de la taille des points.

 La perception visuelle de la densité sera très différente selon la taille des points d’autant que des centaines ou des milliers de points peuvent apparaître sur la carte. Si la taille des points est trop réduite, la perception de la densité pourra s’en trouver faussée. Si la taille des points est trop grande, les points risquent d’entrer en coalescence ou de se chevaucher, ce qui entravera la perception par l’œil et donnera aussi une image fausse de la densité.

 L’objectif final est de transmettre un portrait réaliste de la géographie de la population à partir des données collectées. Théoriquement, l’utilisateur de la carte peut compter le nombre de points sur la carte ou sur une portion de la carte et le multiplier par la valeur de chaque point pour calculer la population totale de la carte ou de la portion de carte sélectionnée. C’est une opération si fastidieuse qu’elle est aussi impraticable qu’improbable. L’intérêt de la carte par point, quand elle est faite correctement, est de montrer efficacement les concentrations et la dispersion de la population dans un territoire donné.

 

Les cartes par symboles proportionnels

 Tout comme la carte par points, la carte par symboles proportionnels est une carte facile à comprendre qui joue sur la taille des symboles pour représenter les valeurs de la donnée. La carte par symboles proportionnels est plus détaillée que la simple carte par points tout en étant moins chargée pour spatialiser des données statistiques. C’est en fait une variante de la carte par points où la taille du symbole, souvent un cercle, est proportionnelle à la valeur de la donnée. Le piège dans le calcul de la taille du cercle est d’oublier que le but est de visualiser la superficie et non la circonférence. Or, puisque la surface du cercle est πR2, ce n’est pas le rayon du cercle (R), mais sa racine carrée (√ R) qu’on doit utiliser pour calculer la taille du cercle sur la carte. Cette erreur, fréquente sur des cartes publiées, est à l’origine d’une représentation faussée de la donnée. L’utilisateur doit donc être vigilant au sujet de ce type d’erreur quand il regarde une carte par cercles proportionnels. Sur une carte où la taille des cercles est proportionnelle à la population, la ventilation de cette population par catégories, par exemple sa répartition en groupes ethniques dont le total fait 100%, peut être représentée en employant des cercles proportionnels. Le cercle est alors découpé en secteurs dont les angles sont proportionnels aux pourcentages, 360 ° correspondant à 100 %.

 On peut représenter simultanément plusieurs variables sur une carte thématique par symboles proportionnels. On parle de carte bivariée quand on représente deux variables sur une même carte thématique et multivariée quand on en représente plus de deux. Mais, plus le cartographe représente de variables sur une carte, plus il devient difficile de l’interpréter et de mettre en évidence des modèles géographiques.

 

Les cartes choroplèthes

 Une carte choroplèthe est une carte statistique dans laquelle la base de données correspond à des unités spatiales préétablies et qui fait référence à ces dernières. Les unités considérées ont des frontières préétablies, à l’exemple des États, les régions, des districts ou des départements, de îlots de recensement ou des aires de recrutement scolaire. Les données sont collectées sur des variables spécifiques, comme la taille des populations ou de nombre de foyers, et couvrent entièrement l’ensemble des unités spatiales à cartographier. En d’autres mots, le comptage de la population pour une unité spatiale inclus l’ensemble des personnes qui vivent dans les limites de cette unité spatiale, peu importe où elle réside à l’intérieur de cette dernière. Les deux cartes présentant la densité de population en Corée en 2014 indiquent, l’une (placée à gauche), la densité par province et l’autre (placée à droite) la densité par gun.

 Il existe des différences marquantes entre ces deux cartes, même si elles sont créées à partir de données provenant des mêmes sources gouvernementales. En effet, la première carte montre chacune des Provinces comme des territoires homogènes sur le plan de la répartition de la population. Ainsi, le lecteur ne peut aboutir qu’à peu de conclusions. La première est, de manière attendue, une très forte différence de densité entre les aires des grandes métropoles et le reste du territoire. La seconde est celle de différentes très marquées dans le nord du pays, entre la grande région de Séoul, la plus fortement peuplée, et la région située à l’est qui est la plus déficitaire sur le plan démographique pour l’ensemble de la Corée. Le sud de la péninsule, soit six Provinces sur huit, présente des valeurs égales.

 La seconde carte, située à droite, qui est basée sur des données à l’échelle des Gun. Si l’opposition « grande métropole / reste du territoire » apparaît immédiatement aux yeux du lecteur, l’information est bien plus riche, et finalement assez différente de la première carte. Cette fois, deux régions aux densités fortes apparaissent, celle de Séoul qui s’étend vers le sud le long du littoral jusqu’à Daejeon, mais aussi celle de Busan, incluant Ulsan, Daegu et leurs périphéries. Le reste du territoire est par ailleurs davantage contrasté. Il existe des différences fortes de densité des Gun au sein de chacune des Provinces, qui empêchent de voir la plus grande part de la Corée comme un ensemble homogène sur le plan démographique, comme le montrait la carte précédente.

 Le mode de représentation des cartes choroplèthes souffre toutefois, comme tout autre type de carte, de certains biais. Dans le cas des deux cartes présentées, à moins de consulter avec attention les données, il est difficile de noter les très fortes différences de densité entre les plus grandes villes et le reste du territoire, qui conduit à une situation, minorées par la carte, où Séoul et la région rassemble pratiquement la moitié de la population du pays. Cela est lié largement aux différences existantes dans la taille des unités représentés, mais aussi du nombre obligatoirement limité des classes choisies.

 Enfin, s’ajoute à ces difficultés d’autres complications pour la réalisation et la lecture des cartes choroplèthes, tout particulièrement le choix des méthodes d’analyse des données. Il y a de nombreuses manières de réaliser des discrétisations, soit de diviser des séries statistiques en classe. Ainsi il est possible de choisir les méthodes suivantes : intervalles égaux, quartiles, quintiles, sextiles, septiles, etc, seuils naturels ou seuils observés dans la série des données, écarts types à partir d’une distribution normale, méthode de Jenks, progression arithmétique, progression géométrique, et d’autres encore.

 Évidemment, ce choix important doit être pris par le cartographe, chacune de ces méthodes pouvant conduire à différents rendus de la carte choroplèthe par la diversité du nombre de classes utilisées et la manière de traiter les données. Un exemple peut être fourni par une ensemble de données collecté en 1990 par le Bureau du recensement des États-Unis qui présente le nombre de foyers dans chaque comté de l’État du Wisconsin. Le tableau de données a été trié de manière à ordonner les comtés des plus grandes aux plus petites valeurs. Le comté de Milwaukee (373 048), celui de Dane (142 786) et celui de Waukesha (105 990) rassemblent un nombre de foyers bien supérieur que chacun des autres comtés. En fait, il existe une très grande différence entre les comtés ayant les valeurs les plus élevées et ceux ayant les plus basses (28 comtés on moins de 10 000 foyers chacun). Ceci rend ces données difficiles à cartographier.

 Afin de montrer comment cet ensemble de données peut être cartographié selon des dizaines de méthodes différentes, comment il est possible de créer des cartes très différentes avec des données identiques, neuf cartes ont été réalisées. Elles apparaissent toutes très différentes. La première question que chacun pourra poser est : « laquelle de ces cartes est correcte ? ». La réponse sera : toutes sont à la fois correctes ou incorrectes. La carte qui représente le mieux la réelle géographie d’un espace est la meilleure carte et sa création est la responsabilité du cartographe. Avec un large accès au Systèmes d’Information Géographique et autres logiciels de cartographie, la production de cartes est considérée avoir été démocratisée. Chacun est capable de produire des cartes thématiques ou de les diffuser sur l’internet, mais tout le monde n’a pas reçu la formation rigoureuse que possède un cartographe. C’est la raison pour laquelle tout étudiant ou enseignant doit apprendre à être prudent et à avoir un œil critique concernant la qualité et le sérieux des cartes qui lui sont présentées.

 

Tableau de données indiquant le nombre de ménages dans les comtés du Wisconsin (U.S. Bureau of the Census 1990)

 Les cartes 1, 2 et 3 ont été créées en utilisant la méthode la plus fréquemment utilisée des intervalles égaux (c’est à dire de 0-100, 100-200, 200-300, etc) en divisant la plus grande valeur par le nombre d’intervalles choisi : quatre, cinq et six dans ces cas. Dans la carte 1, divisant les 373 048 foyers du comté de Milwaukee en quatre fois 93 262, on définit la taille des intervalles de classes (de 0 à 93 262, puis ajoutant 93 262, de 93 262 à 186 524, puis répétant ce calcul pour arriver à la classe de 186 524 à 279 786, et finalement à la classe de 279 786 à 373 048). La même méthode est utilisée pour réaliser la carte 2, en divisant cette fois 373 048 en cinq classes et pour la carte 3 en six classes. Du fait que la distribution des données est asymétrique en faveur des valeurs élevées, cette méthode des intervalles égaux ne produit pas une représentation très réaliste des données car il n’y a pas de données dans les classes intermédiaires. La plupart des comtés sont en jaune, représentant la classe la plus basse. Aucun ne se trouve dans la classe intermédiaire colorée en vert (de 186 524 à 279 786). Ainsi, la méthode des intervalles égaux n’apparaît pas appropriée à la cartographie de cet ensemble de données.

 Les cartes 4, 5 et 6 utilisent un approche statistique différente. La méthode des quartiles divise le nombre total des unités spatiales, dans ce cas 72 comtés, en quatre groupes de 18 comptés chacun (cinq groupes pour les quintiles, chacun avec 14,4 unités, arrondi à 14 unités par groupe, sept groupes pour les septiles, chacun avec 10,3 arrondi à 10 par groupe). Les cartes qui en résultent montrent des configurations bien plus variées que celles utilisant la méthode des intervalles égaux. Cependant, bien que les configurations sur ces cartes soient plus variées, elles ne parviennent pas à rendre la réalité géographique de la distribution. Même avec la méthode des septiles, l’intervalle des sept classes reste incapable de montrer clairement la concentration des valeurs dans les comtés les plus peuplés, puisque le comté de Milwaukee (373 048 foyers) est inclus dans le même intervalle que celui de Marathon (41 547 foyers).

 Les cartes 7, 8 et 9 font usage de la méthode des seuils naturels et observés. Un seuil est un large écart entre les valeurs concernant deux unités spatiales dans une série de données. L’examen des valeurs supérieures dans la base de données montre qu’il y a un écart important entre comté de Brown (72 280) et ceux de Waukesha (105 990), de Dane (142 786) ou de Milwaukee (373 048).
La carte 7 est réalisée avec la méthode des seuils naturels, avec cinq classes aux intervalles suivant : de 72 280 à 105 990, de 32 997 à 36 662, de 13 775 à 15 542, et finalement de 7 617 à 8 265. Cette méthode présente une amélioration par rapport à celles utilisant les quartiles, quantiles et septiles. Elle sépare clairement les trois comtés aux valeurs très supérieures aux autres. La méthode des seuils naturels est étroitement associée avec la méthode statistique dite de Jenks, fondée sur la notion de variance (la valeur moyenne du carré des écarts à la moyenne). Le découpage en classes est déterminé de façon à minimiser la variance intraclasse et à maximiser la variance interclasses. Cette méthode permet de créer des classes dans lesquelles les unités sont les plus proches et d’isoler les différents groupes ainsi créés. Elle ainsi l’avantage de respecter la structure des données. Il est toujours préférable d’obtenir des groupes dont l’index de variance est le plus bas, situés entre 0 et 1. Un index proche de 1 a la variance la plus faible et la meilleure qualité d’ajustement pour les groupes de classes. Cette formule statistique de Jenks est intégrée dans la plupart des logiciels de cartographie offrant la possibilité de réaliser des cartes choroplèthe. Elle doit être testée quand elle peut être appliquée.

 Les cartes 8 et 9 sont des approches réalisées à partir de l’observation des seuils observés, avec 5 et 7 classes respectivement. La carte 8 rassemble dans une seule classe les trois comtés ayant des valeurs supérieures et détermine les autres classes en fonction des seuils observés. Le résultat offre une bonne représentation de la géographie des foyers à l’échelle des comtés dans l’État de Wisconsin. La carte 9 parcourt une étape de plus en faisant le choix de 7 classes, dans lesquelles le comté de Milwaukee est placé seul au-dessus des autres, présentant un écart important avec le reste des données. Isoler le comté de Milwaukee indiquant qu’il rassemble le plus grand nombre de foyers est tout à fait justifiable. Placer le comté de Dane et celui de Wakesha dans la seconde classe supérieure les spécifie également par rapport au reste des comtés. Du fait que les trois comtés présentant des valeurs supérieures sont ainsi différenciés, les autres données ne sont plus écrasées et peuvent donc être regroupées en cinq classes supplémentaires, à l’intérieur desquelles les variances sont faibles. Ainsi, la carte 8 apparaît comme la meilleure représentation d’un ensemble de données fortement asymétriques. On pourrait toutefois suggérer qu’ajouter davantage de classes permettrait d’améliorer encore la pertinence de la carte. C’est vrai d’un point de vue théorique, mais en ajoutant plus de classes, le cartographe introduit un problème sur le plan sémiologique, car il est très difficile de trouver suffisamment de variations de couleur pour représenter les diverses classes. Psychologiquement, il est compliqué pour une personne de voir et reconnaître huit différentes nuances de gris. Il serait donc peu efficace, pour un cartographe, de choisir plus de huit différentes nuances d’une même couleur. C’est là que la théorie cartographique rencontre la limite imposée par la conception graphique, lorsque le cartographie décide de combiner deux critères conflictuels. La carte avec trop de nuances de gris ou de couleurs crée une difficulté pour le lecteur de visualiser les données et de distinguer entre les différentes nuances, tout particulièrement dans le cas des petites unités spatiales recevant les nuances intermédiaires.

 Pour clore la discussion sur la pertinence de la représentation cartographique, la principale question consiste à se demander si un cartographe cartographie véritablement la géographie d’un pays ou s’il représente simplement sur une carte un ensemble de données facilement accessibles. Pour lire une carte, on doit s’exercer à reconnaître la différence entre ces deux possibilités. Ce n’est pas forcément une tâche facile, mais prendre en considération le contexte et d’autres données ou facteurs géographiques, puis mobiliser des compétences en matière de raisonnement spatial est crucial pour vraiment le message transmis par les cartes.

 

Références de l’annexe cartographique

- Bertin Jacques, Bonin Serge, 1977, La graphique et le traitement graphique de

   l’information, Paris, Flammarion, 1977 (réédition : Bruxelles, Zones sensibles, 2017).

- Brunet Roger, 1987, La carte mode d’emploi, Paris, Fayard-Reclus.

- Cadène Philippe, 2004, Le commentaire de cartes et de documents géographiques,

   Belin, collection Atouts.

- Dumolard Pierre et al., 2003, Les statistiques en géographie, Paris, Belin.

- Groupe Chadule, 1997, Initiation aux pratiques statistiques en géographie, Paris,

   Armand Colin.

- Lortic Bernard, avec Couret Dominique, 2011, Manuel de cartographie rapide.
   De l’échelle de la région à celle du mobilier urbain, Marseille, Institut de recherche

   pour le développement (libre accès sur Internet).

- Pumain Denise, Béguin Michèle, 2003 (2ème édition), La réprésentation des données.

   géographiques, Paris, Armand Colin.

- Zanin Christine, Lambert Nicolas, 2016, Manuel de cartographie. Principes, méthodes,

   applications, Paris, Armand Colin.